« Elle n’est pas prête pour la poésie, ma psychiatre.
Mais je ne peux pas lui en vouloir.
Ne devient pas fou qui veut. »
Résumé éditeur :
« Depuis toujours, j’ai du mal à établir des contacts avec les gens « normaux ». Quand je suis dans le trou noir, la tronche à l’envers, avec l’envie d’engueuler le vent et les oiseaux, je me dis parfois que ce sont des modèles en série, des ersatz, des brumes floues, sans consistance.
Alors que les bizarres, c’est plus noble. Eux, ce sont des modèles uniques qui sont nés sans mode d’emploi et en kit et qui ont dû se fabriquer seuls. Alors, bien sûr, ça donne des constructions très personnelles. Les idées ne sont pas au bon endroit, ou bien elles sont morcelées ou trop vastes, sans limites. Et parfois, il manque des pièces. C’est le problème des trucs en kit.
Je suis devenu psychologue et je travaille dans ce Centre. Souvent mon boulanger me demande si ce n’est pas trop dur de travailler avec « les fous ». Moi j’ai envie de lui répondre que ce qui est vraiment dur, c’est plutôt ce genre de dialogue, mais je me tais.
Et je ne peux pas répondre que parmi les Monuments, on peut parfois trouver des elfes. »
102 pages – 15/10/2020
« Quand il vidait des animaux pour les empailler, il y avait une odeur épouvantable dans la maison. En même temps, il était occupé et ça avait l’air de l’intéresser vraiment. C’était bien, comme activité, pour le père. En revanche, il nous regardait du coin de l’œil et ça me faisait peur. Je me disais qu’il pesait le pour et le contre. Il devait se demander à quel âge il devrait nous vider nous aussi et nous bourrer de produits chimiques et de paille pour qu’on ne s’en aille jamais et qu’il puisse rester en sécurité. »
Résumé de l’auteur :
Pour faire court : le narrateur rencontre une Elfe dans le centre psychiatrique dans lequel il travaille en tant que psychologue. Cette rencontre fait suite à la mort de sa mère, qu’il n’a pas vue depuis vingt ans. Le jour du décès de sa mère, il se fait diagnostiquer un cancer cutané, mais lui est convaincu qu’il s’agit en réalité d’un horcruxe que sa mère lui a implanté et il commence à être envahi par son chagrin d’enfant abandonné. La rencontre de l’Elfe lui permet d’abord de neutraliser ses souvenirs, il devient dépendant d’elle. Elle devient son médicament, ce qu’elle ne supporte pas. Quand il commence à comprendre qu’il va la perdre, ses souvenirs, qu’il appelle des « monstres » ressurgissent d’une façon de plus en plus déformée, horrifique, et la réalité autour de lui se transforme également.
Extrait de l’interview de Laurent Pépin sur « A l’enseigne de l’Ours danseur »
https://loursdanseur.redux.online/interview-de-laurent-pepin-auteur-de-monstrueuse-feerie/
« Par exemple, chaque année, le service des patients volubiles organise une espèce de « journée portes ouvertes ». On exhibe les Monuments aux badauds qui ont envie de visiter les fous. Comme on visite un zoo ou un parc d’attractions. Des centaines de personnes affluent du village et des communes alentour pour se promener dans le parc où les Monuments sont rassemblés, pour nombre d’entre eux, contre leur volonté. L’administration appelle ça « la réhabilitation », c’est-à-dire que cette mixité des populations lambda et protégée permettrait l’éclosion d’un sentiment de citoyenneté chez nos Monuments, favorable à leur équilibre psychique.
Moi, ça me met très en colère. »
L’auteur, Laurent Pépin, a eu la gentillesse de me proposer de chroniquer son livre « Monstrueuse féerie » et je le remercie. Il me l’a présenté ainsi : « Je recherche des chroniqueurs littéraires intéressés par une littérature aux frontières de l’onirisme et de la psychiatrie qui auraient la curiosité de se pencher sur ma novella « Monstrueuse Féérie ». Il s’agit d’un conte pour adultes teinté de pataphysique, de psychanalyse, de poésie et d’humour noir. » Etant curieuse de nature et ayant déjà lu quelques livres traitant de la folie dont l’excellent « Demain j’étais folle » d’Arnhild Lauveng découvert grâce à une masse critique de Babélio, j’ai accepté avec enthousiasme. A l’arrivée, je crois être complètement passée à côté de cette novella qui est pourtant très bien notée et critiquée sur Babélio. Je ne dois pas être assez fan de poésie… J’ai juste relevé quelques passages légèrement poétiques et féeriques lors d’échanges entre le narrateur et son Elfe. Mais rien d’extraordinaire non plus. Bon, avant de continuer, j’essaie de vous faire un petit résumé de cette histoire dont le récit est très décousu. Le narrateur (on ne connaîtra jamais son nom), psychologue clinicien, travaille dans un hôpital psychiatrique. Il nomme ses patients, les Monuments. Il se sent très à l’aise dans cet univers qu’il préfère au monde extérieur avec les personnes dites normales avec qui il a très peu de relation. Dans cet hôpital, il a rencontré une Elfe dont il est tombé follement amoureux. Ils vivent une relation compliquée car le narrateur a de nombreuses psychoses, c’est le moins que l’on puisse dire, et il se sert de son Elfe pour aller mieux. Or un Elfe doit pouvoir rester libre et peu à peu elle va se détacher du narrateur et s’en aller. Régulièrement le récit est entrecoupé de rêves voire de cauchemars du narrateur et de souvenirs (réels ?) de son enfance. Une enfance pour le moins chaotique, névrosée et assez dramatique. Le père et la mère (dépersonnalisation là encore, pas de prénom, de nom) sont des êtres au bord de la folie, voire complètement dedans, négligents et maltraitants envers leurs enfants. Finalement, il n’y a que les Monuments (les fous) qui sont nommés et qui paradoxalement ont des comportements relativement cohérents. Tout paraît confus, fou et étouffant. On ne s’attache même pas au narrateur, l’écriture de cette novella ne le permet pas. Cela est sans doute voulu par l’auteur. La névrose et la folie du narrateur vont crescendo au fil du récit si bien que le psychologue se retrouve « interné » à son tour sur son lieu de travail, visiblement pour son plus grand plaisir. Bref, je me répète, mais je suis passée complètement à côté. Heureusement, cette novella se lit très vite. Bien sûr, ceci n’est que mon ressenti. Si vous en avez l’occasion, faites-vous votre propre opinion.
« Et plus je les regardais, plus les étrangers semblaient se transformer sous mes yeux en créatures uniformes, patchworks des créatures qui avaient peuplé le monde jadis. Rapidement, leurs troncs, leurs membres, leurs figures n’étaient plus que des empiècements hétéroclites d’organes, des déchets d’humanité. »
Lien vers la fiche du livre sur Babélio
https://www.babelio.com/livres/Pepin-Monstrueuse-feerie/1273787
Note sur Babélio : 3,94/5 (52 notes) – Ma note : 2/5
« Et dans le noir, quand je redevenais l’être-monde coupé du reste de l’univers, je pensais aux Monstres et j’avais peur. »
L’auteur : Laurent Pépin
Né le 15/11/1980, Laurent Pépin est psychologue clinicien de profession. Il réside à Saintes, en Charente-Maritime.
Diplômé de l’Université Rennes 2 (2006-2011), il a travaillé au Centre Hospitalier de Saintonge en 2013.
« Monstrueuse féerie » (2020) est son premier texte publié.
« Ni elle ni le père de la mère n’avaient approuvé le mariage de la mère, par contre. Parce que le père sentait mauvais et n’était pas instruit. S’il y avait des choses qui devaient rester à l’intérieur des familles, comme la négligence des enfants laissés à l’abandon, par exemple, il fallait quand même faire attention aux règles de bienséance.
Mais c’est vrai qu’il y avait un problème avec l’hygiène du père. »
« Les Monuments, la plupart des gens ne savent pas que ce sont des poètes. Quand ils délirent, on appelle ça des « décompensations psychotiques ». Je remplace par « poétiques », je préfère.
Je trouve que ça évoque mieux le poids du Verbe chez ces gens qui ont dû décider en urgence d’un truc inaugural afin de pouvoir se tenir debout face aux vivants.
Mais il faut les protéger, les Monuments.
Pas vraiment contre leur folie – parce qu’au fond la plupart d’entre eux savent mieux y faire que nous, à condition qu’on les entende –, mais contre ce qu’on peut leur vouloir. Cette façon de prétendre édulcorer la maladie mentale au nom d’une inclusion dont la définition même passe par le rejet de ce qui les caractérise. »
« Je voulais lui en parler. Ça me fait toujours bizarre de ne pas savoir comment l’appeler. Elle disait qu’elle n’avait pas de nom mais que je pouvais l’appeler comme je voulais. Ce soir-là, j’aurais voulu qu’elle ait un nom. Parce qu’elle n’était pas là et que je voulais l’appeler.
Souvent, quand je ne la voyais pas, je commençais simplement à lui parler comme si elle était dans la pièce et elle apparaissait. Je ne me suis jamais vraiment demandé comment elle faisait.
C’était une Elfe, après tout. C’est ce qu’elle m’avait dit. Je n’avais pas de raison de ne pas la croire. »
« Parce que, quand il était à la maison, le truc du père avec nous, c’était de nous rendre tellement gros mes frères et moi qu’on ne pouvait plus sortir du lit. Et que le monde qui nous renvoyait le miroir de notre déchéance devienne inexplorable.
C’était important pour le père, eu égard à sa sécurité.
Il nous gavait avec tout ce qu’il pouvait trouver de plus gras. Sur chaque meuble, par terre, devant les portes de nos chambres, dans des sacs plastiques disposés çà et là, à tout moment, on trouvait de la nourriture : des quiches, des pizzas, des crèmes, des beignets ou des gâteaux en tout genre. »
« Ah, et il était homosexuel aussi, il nous a dit.
À l’époque, j’avais dix ans. Je me suis demandé pourquoi il ne changeait pas de sexe. Pas pour un plus grand, hein, juste pour devenir une femme.
Ça me semblait plus facile à penser. Déjà que je trouvais que c’était difficile d’être un garçon.
J’avais peur que mon sexe tombe quand je me décalottais dans le bain, par exemple. Et j’avais peur des différences anatomiques avec les filles. Je croyais que le sexe féminin n’était qu’un trou. Et puis il y avait d’autres énigmes : l’expression perdre les eaux en parlant d’une femme qui va accoucher me mortifiait. Je croyais que ça voulait dire que des os se cassaient pour laisser passer le bébé et ça me faisait des sensations de malaise dans les extrémités de mon corps.
D’ailleurs, je protégeais toujours mes trous la nuit, en les recouvrant avec des coussins ou des peluches, ou en les tenant dans mes mains. Je trouvais qu’ils commençaient à prendre une drôle d’odeur. »
« Et c’est là, c’est là que la prolifération des Monstres a commencé. La mère était enceinte constamment. Toutes les trois à six semaines il sortait de son ventre des nouvelles portées. On voyait tout de suite qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec ces bébés. Il y en avait un qui était né sans bras ni jambes. Comme il n’avait pas de nom, je l’appelais Bébétronc. Au bout du troisième jour, déjà, il rampait en se dandinant sur le ventre. Il avait dans la figure un regard inhumain. Je me disais que ça ferait du grabuge quand il grandirait. Je ne savais pas que les Monstres allaient grandir plus vite que les bébés humains. Il y en avait d’autres : des nains, des siamois, une petite fille qui n’avait pas de bouche, une autre dont le cou était tordu à l’envers et qui devait marcher à reculons pour voir où elle allait. Elle me faisait très peur celle-là. »
Belle découverte et très belle plume merci à toi 🙂 hésites pas à venir faire un tour sur mon site Intel-blog.fr et à t’abonner si ça te plaît 😀
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