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Demain j’étais folle : Un voyage en schizophrénie d’Arnhild Lauveng

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« Ça a commencé doucement, progressivement, presque sans que je le remarque. C’était comme par une belle journée ensoleillée, quand le brouillard s’installe petit à petit. D’abord comme un voile mince devant le soleil, puis de plus en plus dense, mais le soleil brille toujours, et ce n’est que quand il ne brille plus, quand tout est froid et que les oiseaux ne chantent plus, que vous remarquez ce qui se passe. Mais à ce moment là, le brouillard est tombé, le soleil a disparu, les points de repère se fondent dans le paysage et vous n’avez plus assez de temps pour retrouver votre chemin avant que le brouillard ne soit si épais que tous les chemins deviennent invisibles. Alors vous avez peur. Car vous ne savez pas ce qui se passe, ni pourquoi, ni combien de temps ça va durer ; vous comprenez que vous êtes seul et sur le point de vous perdre, et vous avez peur de ne jamais retrouver le chemin pour rentrer chez vous ».

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Quand j’ai vu ce livre dans la liste de l’opération Masse critique qu’organise Babélio, de suite, j’ai su qu’il fallait que je lise ce livre… cette histoire incroyable, mais vraie, d’une malade souffrant de schizophrénie, qui finit par en guérir, qui devient psychologue… et nous raconte sa vie, sa maladie de l’intérieur, et sa guérison. Impressionnant, étonnant et j’avoue passionnant.
Alors avant d’aller plus, je remercie vivement Babélio et les éditions autrement, de m’avoir permis de lire ce récit.
Schizophrénie, maladie mentale… cela fait plutôt peur… et on ne connait pas trop… a-t-on envie d’ailleurs ? Et pour la plupart, en tout cas pour moi, je croyais qu’on n’en guérissait pas. Et bien, il faut croire que si… et que tout n’est pas écrit définitivement sur le monde de la psychiatrie.
Cette autobiographie a l’avantage de nous parler de cette maladie de l’intérieur, par quelqu’un qui en a été atteinte pendant une dizaine d’années… en plus, Arnhild est devenue psychologue, donc cela lui permet d’en parler aussi avec des connaissances en psychologie. Ce n’est pas forcément un livre rigolo, mais pas triste pour autant. Elle nous décrit les choses d’une façon relativement « calme », vue tout ce qu’elle a vécu, les erreurs qui ont été commises dans ses traitements.
J’ai trouvé cette lecture très intéressante car cela m’a permis de comprendre certaines choses, certains comportements… de voir les choses différemment. En même temps, je me dis qu’en ce moment même, au moment où j’écris, des personnes ont été diagnostiquées schizophrène, souffrent énormément, et on ne les écoute pas correctement, on ne les comprend pas correctement, on ne les soigne peut être pas correctement. On oublie sans doute trop souvent, que ces malades ne sont pas que des symptômes, mais aussi une personne avant tout.
Voyage en schizophrénie m’a interpellé aussi, parce que le frère d’une amie a été diagnostiqué schizophrène vers ses 18 ans. Et cela m’a beaucoup marqué.
Ce livre devrait être lu par un maximum de personnes, soignants, familles de malades, malades… Cela peut donner de l’espoir… et peut être faire avancer les réflexions sur les traitements, les diagnostics etc.
Quel bel exemple de courage que le parcours d’Arnhild…
Ah oui, j’allais oublier : La préface de Christophe André, psychiatre, qui enseigne à l’université Paris X et exerce à l’hôpital Sainte-Anne, m’a beaucoup intéressée également.
Franchement, en conclusion, je conseille vivement la lecture de ce livre.

« J’entendais aussi des voix. C’était parfois un désordre grésillant ou hurlant dans ma tête, comme un baladeur à plein volume que je ne pouvais pas éloigner, quoi que je fasse. Il m’arrivait de me taper la tête contre le mur pour que les coups sourds atténuent un peu ce chaos. Ça aidait parfois, mais pas toujours. D’autres fois, j’essayais de m’arracher les cheveux ou de faire des trous dans ma tête avec mes ongles. ça ne m’était jamais d’aucun secours, mais c’était une espèce de réaction de panique visant à faire un trou dans ma tête pour en laisser échapper un peu de pression avant que tout n’explose. C’est ce que je ressentais. A d’autres occasions, c’était un murmure faible, immonde, ou une voix claire qui livrait des messages sans ambiguïtés. « Tu vas mourir », disait-elle. Ou bien : « Ouvre-toi les poignets et dessine un cercle de sang autour de toi, ou toute ta famille mourra ». Pas facile. Que feriez-vous si vous receviez un message pareil ? »

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Résumé éditeur :
Les ombres s’épaississent, le trottoir est devenu trop haut, le Capitaine hurle de ne plus manger, de ne plus dormir et de s’infliger des coups. Il faudrait fuir, mais le couloir derrière la porte est jonché de crocodiles. Aujourd’hui guérie de cette schizophrénie réputée inguérissable, Arnhild Lauveng est devenue psychologue, comme elle en rêvait depuis toujours. Avec la plus grande sobriété, elle raconte les premiers signes de la maladie, la terreur, les parents et les amis qui s’affolent, l’hospitalisation et la lente rémission.
Devenu un classique international, ce témoignage est à la fois sidérant et infiniment précieux. Il porte un formidable message d’espoir, et, comme le dit Christophe André, « traverser la nuit de la maladie aux côtés d’une personne qui s’en est sortie est exceptionnel ».

« Ce besoin d’attention que nous manifestons tous au quotidien est évidemment beaucoup plus intense quand nous nous sentons menacés ou en danger. Si quelqu’un tombait d’un quai dans l’eau et se mettait à appeler au secours, il ne viendrait à l’idée de personne de passer devant lui en disant calmement : « Il fait juste ça pour attirer l’attention ». Bien sûr qu’il cherche à l’attirer ! Il est en danger de mort, incapable de se tirer d’affaire, son unique espoir de préserver son intégrité physique et de continuer à vivre est d’attirer l’attention de ceux qui peuvent le secourir. Ceux qui entendent ses cris le comprendront sur-le-champ et feront tout ce qui est en leur pouvoir pour l’aider. Bien entendu. Voilà pourquoi j’ai peur quand je vois que, dans le domaine des soins psychologiques, on continue à rédiger des dossiers qui identifient des appels au secours, souvent très directement, sans que suivent des réflexions professionnelles sur le type d’aide à apporter ou sur l’attitude que le travailleur social ou les services de santé doivent apporter ».

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Lien vers la fiche du livre sur Babélio :

http://www.babelio.com/livres/Lauveng-Demain-jetais-folle–Un-voyage-en-schizophrenie/563604

« « Je ne la revis pas avant plusieurs années », ai-je écrit, aussi simplement. Voilà un avantage énorme de l’écriture : on peut passer à toute vitesse sur plusieurs années en quelques mots, et vous pouvez avoir l’impression que j’ai passé ces années-là dans un congélateur ou quelque chose dans ce genre, bien à l’abri, en attendant que le monde s’améliore. Ce n’était pas le cas. J’ai fait comme tout le monde, j’ai traversé ces années en vivant un jour après l’autre. J’ai fait l’objet de pas mal de soins, et le reste du temps, j’étais un peu seule, un peu avec ma famille, beaucoup avec les employés des services de santé et des services sociaux. Même s’il me manquait des gens qui me connaissaient comme des amis et non comme des employés, ceux des services publics présentaient aussi des avantages. Par exemple, en règle générale, ils n’attendaient pas de moi que j’ai une vie. Ils connaissaient ma situation et mon dossier, ils posaient rarement des questions délicates auxquelles je ne pouvais pas répondre ».

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« Les symptômes m’intriguent toujours, dans une certaine mesure. Il y a si peu de réponses toutes faites et tant de points de vue différents, le même symptôme peut avoir des significations très diverses en fonction de la personne et de la situation. Voilà ce qui fonde la bonne curiosité. Et l’humilité. Car même si ce n’est pas toujours nécessaire de comprendre la raison d’un symptôme, il vaut souvent mieux réfléchir un peu sur sa fonction pour le traiter comme il faut. A ce moment-là, il n’est pas idiot d’oublier les nomenclatures et les descriptions des pathologies, et de se concentrer plutôt sur l’individu et sa situation. Qui es-tu ? Dans quel contexte vis-tu ? Car ce ne sont jamais des personnes complètement isolées. Elles appartiennent à un système, quel qu’il soit. Elles peuvent modifier ces systèmes, mais l’inverse est aussi vrai. Alors, si nous voulons comprendre l’individu, nous devons non seulement le prendre en compte, lui, mais aussi l’ensemble dans lequel il s’inscrit. Nous en comprendrons sans doute pas tout à ce moment-là non plus, mais quand même peut-être un peu plus que si nous nous en tenons aux diagnostics. Car ces derniers ne font que décrire. Si nous voulons comprendre, il faut regarder les individus ».

« Il me laissa finir de parler, ce qui m’impressionna beaucoup. Il fit ensuite une chose qui m’impressionna encore plus : il me demanda pardon pour avoir eu recours à la force sans me parler et sans avoir essayé d’autres méthodes au préalable. C’était la première fois qu’un médecin s’excusait auprès de moi, ce fut la seule, et j’ai trouvé ça fantastique. J’étais dans une situation incroyablement humiliante, je me sentais toute petite, mais il faut assez grand pour me relever un petit peu. Je lui en suis toujours reconnaissante. Il me demanda s’il pouvait faire quelque chose pour moi, à cet instant, compte tenu de la situation. Je compris que c’était une véritable offre, et parce qu’il me traitait avec respect, j’eus envie de collaborer et de lui demander une faveur qu’il avait réellement la possibilité de m’offrir, rien d’inaccessible, dangereux ou délirant. Je ne le provoquai pas en demandant à sortir, à « aller bien » ou ce genre de requête ».

« Et pour l’avoir vécu, je sais que j’étais beaucoup plus facile à gérer quand j’avais un peu d’espoir et de respect de moi-même que quand tout avait été balayé. « Freedom is just another word, for nothing left to lose », chante Janis Joplin. Quand on vous a tout pris, quand il ne vous reste plus rien à perdre, qu’il s’agisse d’honneur, de respect de soi, de santé, de métier, d’amis, d’avenir ou de quoi que ce soit d’autre, vous êtes libre, complètement libre. Et épouvantablement dangereux. Car pratiquement plus rien ne vous retient. La contrainte est parfois nécessaire. Je ne serais pas vivante aujourd’hui si la contrainte avait été interdite en milieu psychiatrique. Mais l’humiliation et la violence ne sont pas nécessaires. J’ai été mise au tapis par des gens qui connaissaient leur boulot, qui avaient suivi une formation et savaient comment s’y prendre. C’est désagréable, mais ça ne fait pas mal. Mais d’autres personnes m’ont trainée par terre, en faisant taper ma tête sur les barres de seuil que nous franchissions, elles m’ont écrasée sur un sol en béton, flanqué un genou dans les reins et m’ont appuyé la tête dans des oreillers pour que le manque d’air me contraigne à cesser de résister. Ça, ça fait mal. Des douleurs physiques m’empêchent encore parfois de dormir la nuit, et même s’ils sont beaucoup plus rares maintenant, les cauchemars n’ont pas complètement disparu ».

« Il fallait que je prenne mes médicaments et que j’aille à l’école, ce qui représentait deux actions distinctes. Mais je n’étais qu’une seule et même personne. Or ces médicaments qui me rendaient assez calme pour suivre en classe et qui atténuaient suffisamment les hallucinations pour que je puisse écouter le professeur, m’abrutissaient et me fatiguaient à tel point que c’était très pénible d’aller à l’école. Ils nuisaient aussi beaucoup à ma motricité fine. Je tiens un journal intime depuis que je suis adolescente, en tout cas par périodes, et quand j’en reprends les cahiers, je vois bien que l’écriture change sous l’influence des médicaments, et redevient progressivement la mienne. Elle n’a pas tellement évolué depuis mes dix-huit ans, mais elle différait du tout au tout quand les traitements étaient les plus lourds. Je me rappelle que beaucoup d’autres aspects de ma vie étaient également altérés ».

« Durant une longue période, j’ai été entourée d’assistants rémunérés. Pendant six ou sept années de ma vie, je n’ai eu personne dans mon entourage, hormis ma famille proche, qui soit avec moi volontairement, gratuitement. L’image que j’avais de moi s’en est trouvée modifiée. Certains assistants rémunérés étaient arrogants, indifférents ou négligents, mais en grande majorité ils ne l’étaient pas. Pour la quasi-totalité, ils ont fait preuve de respect, de compréhension et de professionnalisme, ou ils ont essayé. Ils voulaient presque tous m’aider à me construire une bonne image de moi-même, beaucoup m’ont expliqué que j’étais quelqu’un de valable, de bon, et j’en passe. L’effet en était pour ainsi dire nul. Les médecins et les infirmières pouvaient me répéter à l’envi que j’étais quelqu’un de fantastique, la vérité voulait qu’ils soient rétribués pour chaque minute qu’ils passaient en ma compagnie, et que s’ils m’accordaient un peu de temps supplémentaire, volontairement, ce serait déduit de celui qu’ils passeraient avec moi la semaine suivante. Dans ce contexte, que valaient leurs paroles ? Et que valais-je, moi, en fin de compte ? »

« Il m’arrive d’entendre des personnes qui ont traversé une crise dire que maintenant, après coup, elles n’auraient pas pu s’en passer. Je n’y arrive pas. Je me souviens à quel point ça faisait mal, à quel point la vie paraissait sans espoir. Je sais toutes les idioties que j’ai faites, contre moi et contre ceux que j’aime. Je sais que les choses auraient très facilement pu mal tourner, et que j’ai une chance incroyable d’être encore en vie. Alors si on m’avait donné le choix, j’aurais voulu éviter cette douleur. Mais c’est sans doute très bien qu’on ne me l’ait pas laissé. Car j’ai beaucoup appris, un savoir que je n’aurais jamais eu la chance d’acquérir autrement. Je suis peut-être devenue meilleure humainement, mais je sais surtout que je suis devenue une meilleure psychologue. Pas parce que mon histoire est générale et polyvalente, mais parce que mes expériences m’ont enseigné qu’il n’y avait pas d’« eux » et de « nous ». Nous sommes tous des êtres humains et rien de plus. Tous différents. Et tous fondamentalement identiques ».

« Peu importe ce que ça me coûte, je ne veux pas mourir avant d’avoir peint avec toutes les couleurs de ma boite, je ne veux pas vivre en pastel ».

Billet réalisé le 16 février 2014

5 commentaires sur “Demain j’étais folle : Un voyage en schizophrénie d’Arnhild Lauveng

  1. pachrimaco
    28 Mai 2015

    schizo qui devient psychologue .. incroyable .. sacré travail sur soi ! .. un livre qui me plairait je pense .. biz ma belle

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  2. Merci pour le lien Lilou

    Aimé par 1 personne

  3. Pingback: Le danger de ne pas être folle de Rosa Montero | Ma passion les livres

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