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Comment voyager dans les Terres Oubliées de Sarah Brooks

« On dit que l’on avait tellement pris à la terre qu’elle avait toujours faim. Elle s’était nourrie du sang versé par les empires, et des ossements des animaux et des hommes par eux abandonnés. Elle avait acquis le goût du sang. »

Résumé éditeur :

« On dit qu’il y a un prix que doit payer tout voyageur s’aventurant dans les Terres oubliées. Un prix dépassant le simple coût d’un billet de train. »
XIXe siècle. Quels secrets renferment les Terres oubliées, ces vastes étendues entre la Russie et la Chine totalement coupées du monde ? La seule activité que l’on y connaisse est le passage du Transsibérien Express. Si la traversée est réputée dangereuse, les voyageurs ne manquent pas, tous attirés par les mystères et les légendes de ce territoire isolé. Malgré d’inquiétantes rumeurs à propos d’un accident survenu lors du dernier trajet, la compagnie l’assure, tout est désormais sécurisé. Et le prochain départ est là pour l’attester. À bord, les passagers s’installent, font connaissance. Mais si tout semble se présenter au mieux, certains ont des raisons particulières d’être là. Marya, par exemple, qui a l’impression qu’on lui cache la vérité sur la mort de son père, survenue peu après la dernière traversée. Ou bien Weiwei, l’enfant née dans le train, qui en connaît chaque recoin et secret par coeur. Sans oublier la mystérieuse Capitaine, dont la discrétion confine à l’invisibilité. Alors que le Transsibérien Express commence sa course folle, des événements d’abord imprévisibles, puis très vite incontrôlables, se produisent.

Défiant tous les genres, de l’aventure à l’horreur en passant par le thriller historique, Sarah Brooks nous offre avec ce premier roman subjuguant un voyage plein de mystères et de suspense. Un régal de lecture qui nous rappelle à quel point la littérature peut être magique !

432 pages – 2/5/2024

« Mais tel est le but modeste que se propose votre serviteur : prendre le voyageur par la main et l’accompagner tout au long de ce trajet. Et si je devais moi-même chanceler, sachez que je suis, par nature et inclination, prudent, et qu’il y eut des moments, au cours de mon voyage, où les horreurs de l’extérieur menacèrent de me submerger ; où la raison trembla face à la folie.
J’étais autrefois un homme pieux, plein de certitudes. Ce livre doit tenir lieu de témoignage de ce que j’ai perdu en route, et de guide pour ceux qui viennent après moi, dans l’espoir qu’ils soient mieux équipés pour endurer les étranges journées de leur voyage et dorment un peu mieux pendant les nuits difficiles.
Extrait du Guide du voyageur prudent dans les Terres oubliées, de Valentin Rostov, Éditions Mirsky, Moscou, Introduction, p. 1 »

Mon avis

Ces Terres Oubliées et ce Transsibérien Express me faisaient de l’œil depuis un petit moment… J’ai pris mon billet et je ne le regrette pas. J’ai eu par moment une petite impression de me retrouver dans la merveilleuse saga de la Dernière Geste de Morgan of Glencoe… Impression sans doute due à une vie communautaire forte et humaine dans un train… Ici, le récit se situe à la toute fin du 19e siècle. Sur les plaines, les grands espaces entre la Chine et la Russie, des faits étranges se produisent… des mutations inexpliquées et qui effraient les deux Empires. Des hauts murs ont été construits pour que « l’épidémie » ne s’étende pas. Des règles strictes sont maintenant appliquées avec des soldats aux abords des deux murs. Seul un train, le Transsibérien Express, relie Pékin et Moscou au cours d’un voyage dangereux et sécurisé par la Compagnie toute puissante et autoritaire afin de maintenir le commerce. Après des gros problèmes lors de la dernière traversée et une pause de nombreux mois, la Compagnie autorise enfin un nouveau voyage au plus grand plaisir entre autres de Weiwei, l’enfant du train comme on l’appelle, car elle est née dans le train en pleine traversée des Terres Oubliées. Depuis, elle n’a plus quitté le train. Petit à petit on fait connaissance avec certains voyageurs de Première classe, chacun avec ses motivations et ses secrets, mais aussi avec quelques employés du Train et des habitués de la traversée. Les jours, les nuits défilent et le paysage et la faune à l’extérieur du train continuent de se transformer, d’émerveiller ou d’effrayer les voyageurs, et petit à petit le voyage lui aussi se transforme ainsi que le train. Je ne peux pas (et ne veux pas) vous en raconter plus sur cette histoire totalement étrange et hypnotique. Trop compliqué à résumer et dommage de vous dévoiler les découvertes que l’on fait au fil des pages. J’ai été peu à peu happée par le récit, par les Terres Oubliées et par les personnages attachants pour certains, agaçants ou malveillants pour d’autres. Gros coup de cœur pour cette aventure étrange, originale mais terriblement humaine, une uchronie passionnante et poétique également. Bref, un patchwork étonnant que je vous recommande vivement.

« Un soudain sentiment d’isolement, tranchant, la submerge. Le train n’a même pas encore démarré et elle n’a pas suivi le premier conseil de Rostov : « Par-dessus tout, n’entreprenez pas ce voyage si vous n’êtes pas certain de votre propre solidité nerveuse ».
Dehors, sur le quai, des porteurs et stewards guident les derniers retardataires à bord et ordonnent aux familles en larmes de reculer vers les portes. »

Lien vers la fiche du livre sur Babélio

Comment voyager dans les Terres Oubliées de Sarah Brooks sur Babélio

Note sur Babélio : 3,83/5 (70 notes) – Ma note : 5/5

« Mais Weiwei n’est pas comme eux. Weiwei est l’enfant du train. Née ni là-bas, ni ici, dans aucun pays, sous l’étoile d’aucun empereur, en plein milieu des Terres oubliées, sur le sol de la voiture-couchettes de la Troisième Classe, une nuit où la phosphorescence transformait les créatures des plaines en fantômes. Elle fut langée dans des draps portant les armoiries de la Compagnie, et passa entre les bras des porteurs, des cuisinières et d’une nourrice trouvée parmi les passagers de la Troisième. Deux semaines après, lorsque le train s’arrêta au Mur russe, elle hurla, car jusque-là elle n’avait connu que mouvement et bruit. Les cadres de la Compagnie, à Moscou, ne savaient que faire d’elle, n’ayant jamais eu affaire à l’apparition inopinée d’une orpheline. »

L’autrice : Sarah Brooks

Sarah Brooks est une écrivaine et universitaire britannique.
Diplômée de langue et civilisation chinoises, elle a enseigné l’anglais en Chine, au Japon et en Italie. Après son retour à Leeds, elle a obtenu son doctorat (Ph.D.) avec une thèse sur les histoires de fantômes dans la littérature classique chinoise.
Elle est lauréate du Lucy Cavendish Prize 2019 et du Northern Debut Award de New Writing North 2022. « Comment voyager dans les terres oubliées » (« The Cautious Traveller’s Guide to the Wastelands », 2024) est son premier roman.
Sarah Brooks vit à Leeds où elle enseigne dans le département d’Études de l’Asie de l’Est à l’Université de Leeds et est directrice adjointe du Leeds Centre for New Chinese Writing.

« L’enfant du train est rapide et futée. Elle n’a jamais grandi autant qu’elle l’espérait, donc elle peut encore se glisser dans les espaces les plus étroits et aller se tapir dans les recoins ignorés du train. Elle en connaît tous les secrets – comment se faufiler dans les voitures-cuisines et chaparder un ravioli chaud au passage ; comment traverser sur la pointe des pieds la voiture-potager sans déranger les poules au caractère trempé ; comment atteindre la tuyauterie et l’électricité en cas de problème (et il y en a – plus souvent que la Compagnie ne le souhaiterait, ou même n’accepterait de le dévoiler à ses investisseurs). Elle court au rythme du train, slalomant entre les parois des couloirs étroits, évitant les passagers au pas encore incertain et les laissant étourdis dans son sillage, ne s’arrêtant que pour entrer furtivement dans la cuisine de Troisième Classe et rafler une poignée de fruits secs à la barbe des commis endormis.
« Zhang Weiwei, ne prends pas cet air innocent avec moi, je sais ce que tu mijotes !
Anya Kasharina, la cuisinière de Troisième Classe, est toujours vigilante. Weiwei se retourne, paumes ouvertes, et hausse les épaules. Anya part d’un de ses gros rires et donne une claque sur la tête d’un des commis.
« Qui a laissé les rats entrer dans ma belle cuisine toute propre, hein ? Faites plus attention, à l’avenir ! »
Weiwei s’éclipse avant que les commis aient le temps de se venger. »

« Elle a grandi avec les histoires de l’empereur qui a lancé sa construction, il y a plus de mille ans, et des hommes dont les restes sont demeurés mêlés à ses pierres. Et bien sûr les histoires de Song Tianfeng, le bâtisseur qui, voilà cinquante ans, a dirigé la deuxième construction du Mur, quand les Terres oubliées ont commencé à empiéter sur l’empire de Chine ; le déplacement des fondations d’origine cent soixante kilomètres plus au nord, la tâche stupéfiante de transporter des milliers de pierres des carrières du nord, le renforcement de la pierre par l’acier, le voyage à travers les grandes plaines, pour apporter les nouvelles à l’Empire russe et leur apprendre à construire un mur bien à eux.
Marya pense à tous les hommes qui ont donné leur vie pour construire les murs. Sans leur sacrifice, le fléau se serait-il étendu jusqu’à Moscou et Pékin, et bien au-delà ? Y aurait-il des horreurs rôdant dans les campagnes, et s’infiltrant de nuit dans les villes ? »

« Mais c’est trop tard – Weiwei l’a vue, pour la première fois, telle qu’elle est, et non comme elle fait semblant d’être, et ne le sait-elle pas depuis le début ? Ne s’est-elle pas voilé la face ? Ce n’est pas une clandestine perdue, effrayée, qui a besoin de protection, mais une créature des Terres oubliées, pas tout à fait une fille. »

« « Ils avaient tout ce qu’ils voulaient. Mais moi, je voulais davantage.
– Plus que les Terres oubliées ? Mais elles sont vachement grandes. »
Weiwei essaie d’imaginer ce que ça serait d’être là, dehors, parmi tout cet espace, sous ce ciel immense.
Elle entend Elena se retourner.
« Pourquoi vous les appelez comme ça ?
– Quoi ?
– Le nom que vous leur avez donné. Comme s’il n’y avait plus rien là-bas. Comme si elles avaient été vidées, désertées, alors qu’elles sont pleines de créatures vivantes, de créatures pensantes.
– Eh bien, parce que… », commence Weiwei, et elle laisse sa phrase en suspens.
Elle ne s’était jamais posé la question.
« Tout est vivant, dehors, reprend Elena. Tout a faim, tout grandit, tout change. On le sent, comme ça. »
Elle cherche de nouveau la main de Weiwei et la pose à plat sur le sol, si bien que le rythme du rail les traverse toutes les deux. »

« La météo dans les Terres oubliées est imprévisible : l’été, des nuages de neige peuvent s’amonceler dans des cieux bleus transparents, la pluie peut tomber et rester suspendue en plein ciel et, si l’on regarde d’assez près, on constatera des motifs impossibles dans les gouttes de pluie. Les orages peuvent éclater, furieux et soudains, et se déverser sur les plaines pour disparaître aussitôt, comme si le ciel était nettoyé en un clin d’œil. Weiwei est née pendant un orage, et le tonnerre noyait les cris de sa pauvre mère, lui a raconté Anya Kasharina. « Et toi, c’était comme si tu avais entendu l’appel du tonnerre, et voulais sortir dans le monde bien que ta mère le quitte. » Les membres de l’équipage secouent tristement la tête quand ils parlent de sa mère. Dans leurs récits, elle est devenue belle, courageuse, mais personne ne l’a décrite à Weiwei d’une manière qui la fasse paraître réelle. Elle se demande si elle devrait être triste, elle aussi, mais elle ne parvient pas à trouver le sentiment adéquat. »

Ma lecture actuelle

2 commentaires sur “Comment voyager dans les Terres Oubliées de Sarah Brooks

  1. Light And Smell
    24 juin 2024

    Il est dans ma PAL, j’espère l’apprécier autant que toi 🙂

    Aimé par 1 personne

    • Lilou
      24 juin 2024

      Je l’espère aussi ! Je lirai avec attention ton retour 😉 bonne lecture 🤗

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