« Quatre-vingt-dix gosses livrés à eux-mêmes grandissaient dans ces édifices insalubres, encadrés par une dizaine d’hommes tous caractérisés par un art consommé de la paresse, de l’inaptitude et de la cruauté. Souvent, les orphelins étaient réquisitionnés pour s’occuper du ménage, entretenir les potagers ou les élevages de lapins, de porcs et de poules. Avec le marché noir pour véritable gagne-pain, les cadres disposaient d’une main-d’œuvre gratuite et corvéable à merci. La vaillante patrie aux caisses vides n’octroyait qu’un salaire de misère aux travailleurs sociaux, et aucun financement pour l’éducation de ces gosses crasseux dont personne ne se souciait.
La rétribution des enfants ? Quelques passe-droits, des avantages, l’assurance de manger un peu.
Et d’éviter le quatrième étage.
Le jour, cet étage était désert. La nuit, il était fréquenté par des hommes qui considéraient qu’aller et venir dans le ventre des orphelins n’était pas pécher ».
Résumé éditeur :
On a raconté beaucoup de choses sur Ilya Kalinine. On a dit de lui que c’était un monstre, un assassin de la pire espèce qui tirait son plaisir de la souffrance de ses victimes. On a dit aussi qu’un seul homme ne pouvait pas avoir tué autant de gens et qu’il devait s’agir d’une légende derrière laquelle se cachait une organisation criminelle. D’autres ont prétendu qu’il n’existait pas. Et pourtant, Ilya Kalinine a existé. Depuis cet endroit et ce jour où j’écris ces lignes, je suis sans doute la dernière à pouvoir raconter son histoire. Je m’appelle Vera et je suis la mère d’Ilya Kalinine. Il est le fruit de notre époque. Il en a la dureté. Je l’ai élevé, je l’ai aimé, il m’a aimé en retour. Les monstres n’aiment pas, je peux vous le dire. Ou alors, nous sommes tous des monstres.
Nathalie Hug et Jérôme Camut offrent un récit très sombre des origines d’Ilya Kalinine, le criminel qui hante la trilogie W3, dont le premier volet, Le Sourire des pendus, a obtenu le Prix des lecteurs policier du Livre de Poche.
« Quand la vodka manquait, on trouvait toujours de quoi la remplacer. Le plan quinquennal n’avait pas prévu assez d’alcool ? Qu’à cela ne tienne, il restait des stocks de liquide de refroidissement. Additionné de parfums de synthèse, coupé de vodka ou de rata de contrebande, le mélange souffrait la comparaison. Et surtout, il permettait le voyage ».
Je découvre le fameux couple CamHug, entendez par là, les deux écrivains Jérôme Camut et Nathalie Hug qui écrivent à quatre mains et sont en couple dans la vie… Je les découvre via « Ilya Kalinine » qui est apparemment le préquel d’une trilogie, dite W3… Il faut bien commencer par un bout. Un roman noir, court, addictif, très bien écrit… On y suit deux jumeaux, Ilya et Tania, nés d’une jeune mère qui a accouché dans le plus grand dénuement, dehors, dans le froid, seule… Elle n’y a pas survécu. Ses deux petits sont recueillis par un pêcheur qui par chance, passait par là. Pendant quelques années, le pêcheur et sa femme les ont aimés et élevés avec leur propre fille. Mais de mauvaises langues les ayant dénoncés, ils leur furent retirés et placés dans un orphelinat. Un endroit horrible et dangereux dans cette partie de l’ex URSS, l’Oblast de Kaliningrad, totalement isolée du reste du territoire russe, entre la Pologne et la Lituanie, oubliée de tous, et dans la plus grande pauvreté. Les enfants sont à peine nourris, personne ne s’en occupe vraiment, le personnel est à peine payé. Les enfants sont exploités et violentés. Un trafic sexuel d’enfants a été instauré. Cela se déroule le soir, dans le terrible et très redouté 4e étage. C’est une vraie mafia. La vie d’Ilya et Tania, à l’instar des autres enfants, est vraiment très dure. Ils s’endurcissent pour survivre. Ils sont deux, ils s’entraident, ils sont tout l’un pour l’autre. Jusqu’au jour, où Tania qui a un peu grandi, doit se rendre au 4e étage, cet endroit tant craint et être livrée, droguée, à de riches apparatchiks qui viennent se détendre avec ces jeunes esclaves sexuels. Cela déclenche une réaction immédiate et violente d’Ilya, son frère pour la défendre et dans la foulée leur fuite. Tout le roman nous raconte leur fuite en avant, leur survie, leurs aventures dans cette Russie complètement dévoyée, contaminée par les trafics mafieux et cruelle pour de jeunes enfants. Je préfère ne pas vous en dire plus… à vous de découvrir ce qu’ils vont devenir.
J’ai beaucoup aimé ce livre, je me suis attachée à ces enfants, et je pense que bien sûr je vais me lancer dans cette trilogie même si ce sont apparemment des pavés.
Si vous ne connaissez pas encore les CamHug, lancez-vous et pourquoi pas avec « Ilya Kalinine ».
« Ilya poussa la double porte. Dans sa main, la lame avait jailli. Il ne négocia rien, ne s’annonça pas. Il bondit, rapide comme un chat, et son couteau s’enfonça dans le cou du porc, sectionnant la carotide, comme Oleg le lui avait enseigné.
L’homme gémit et porta les mains à sa gorge avant de s’évanouir.
Très vif, Ilya évita la charge de Mika, qui bascula par-dessus le canapé. Le couteau zigzagua dans l’air, zébrant au passage la joue du deuxième homme dont le sourire alcoolisé s’était figé.
Tandis que ce dernier rampait pour s’éloigner du démon aux allures de mioche qui l’avait salement amoché, Ilya se retourna et se jeta sur Mika, lui plantant son couteau dans le cou.
Aller et retour rapide.
Puis il essuya la lame du 116e bataillon de chasseurs sur l’épaule de sa victime.
Tania ne bougeait pas ».
Lien vers la fiche du livre sur Babélio
https://www.babelio.com/livres/Camut-Ilya-Kalinine/927642
« Les orphelins élurent domicile dans une buse d’adduction de gaz, qui n’alimentait plus aucune usine, à quelques encablures d’un complexe pétrochimique hanté par les vents et les oiseaux de mer. Il y traînait aussi une bande de gosses que ni Ilya ni Tania ne voulaient côtoyer, mais un tuyau d’un mètre soixante de diamètre, c’était mieux que retourner à Kaliningrad, mieux que gagner Polessk ou Salinitiovosk, et mieux que rien.
Le problème, c’est qu’en dehors des maigres réserves de nourriture récupérées en fuyant la datcha, ils ne possédaient rien. Jamais ils ne survivraient dans cet univers d’acier qui conduisait le froid aussi sûrement que la pluie provenait de la mer. Et pas question d’y faire du feu, le gaz pouvait revenir sans visite de contrôle, on voyait de telles choses dans l’oblast ».
« — Répétez après moi le serment de ceux du zoo. Acceptez qu’il vous engage pour toujours ou partez sur-le-champ. L’acceptez-vous ?
— Oui, dit Tania en tournant la tête sur le côté.
Comme rien ne sortait de la bouche de son frère, elle lui extirpa un « oui » d’un coup de pied dans le tibia.
— Bien, poursuivit Volodia, à présent répétez après moi : « Je m’engage à défendre la communauté jusqu’à la mort. Je m’engage à ne pas dire où et comment vit la communauté. Je m’engage à mettre en commun ce que je gagne ou vole à l’extérieur. Les membres de la communauté sont mes frères et mes sœurs. Tous ensemble, nous sommes la Famille. »
Ilya et Tania répétèrent phrase après phrase ».
« — Ils sont tout ce qui reste de la Famille, Kalinine, murmura Volodia. Toi et moi, on va les protéger jusqu’à la mort. C’est ce qu’aurait voulu Tania.
Les yeux brillants de larmes, Ilya regarda son ami.
— C’est ce qu’aurait voulu Tania, admit-il.
Une main s’agrippa à son pantalon. C’était celle de Nikita. Le visage du gosse ruisselait de larmes. Ilya le prit contre lui et le serra fort, sans un mot. Ils furent rejoints par Alexeï, puis par Véta et Lana. Enfin, Volodia laissa de côté sa pudeur et les enlaça à son tour ».
« Le monstre, c’est toujours l’autre.
Imaginer que certains humains sont des monstres permet de se dédouaner de sa propre aptitude à l’être soi-même.
Dire que Kalinine est un monstre, c’est un peu facile.
Non, Ilya n’est pas un monstre, pas plus que les dictateurs, les assassins de masse, les actionnaires des multinationales, les banquiers, les gens ordinaires dans la cruauté ordinaire.
Comme tout le monde, Ilya s’est adapté aux événements de sa vie. Il faut croire qu’il a été confronté à des événements hors du commun ».
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.