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Les âmes fragmentées de Charlotte Monsarrat

« Dans le centre-ville, on se plaint de la limitation du nombre de mètres carrés par habitant, du rationnement alimentaire et de l’interdiction des véhicules privés. Mais ici, les conditions de vie semblent bien plus déplorables. Les enfants devenus adultes ne peuvent pas se payer de logement, chaque pandémie force les autorités à confiner des quartiers entiers, et le taux de suicide est plus élevé que partout ailleurs. Si ma mère n’avait pas eu la chance de trouver sa maison à bas prix avant la dernière crise immobilière, j’aurais probablement grandi ici, dans la misère, sans avenir, avec les agriculteurs urbains et les immigrés climatiques. Ava empruntait déjà cet itinéraire quand j’étais gamine. Je sais qu’elle passe par cette banlieue sinistre pour me montrer à quel point je suis privilégiée. »

Résumé éditeur :

Dans un futur proche, les tournages de cinéma, trop polluants, ont été interdits. À la place, un procédé permet d’extraire les souvenirs de personnes décédées pour les monter en films éphémères qui durent le temps que la mémoire s’efface. Veronica, réalisatrice de filmémoires en panne d’inspiration, est condamnée à restaurer ses anciens succès pour gagner sa croûte. En dérushant les souvenirs d’un trafiquant de mémoires, elle découvre qu’elle a eu avec lui une relation amoureuse dont elle ne se souvient pas.

Aidée par sa compagne et sa mère, Veronica mène une enquête intime sur les traces de son passé. Pour retrouver son identité, elle doit recoller les morceaux de son âme fragmentée.

246 pages – 3/2/2023

« La mémoire extraite n’a pas été triée. D’habitude, quand on lit une mémosphère, les entrées mémorielles sont rangées par listes, avec des mots-clés et des dates en dessous, grâce aux psycho-documentalistes d’Arescience, seuls habilités à trier les souvenirs pour éliminer ceux qui sont inexploitables ou interdits au public. Posséder une mémosphère non triée en laboratoire est illégal, même pour une réalisatrice comme moi. J’hésite un instant, puis me dis que l’enveloppe m’est clairement adressée et que la mémosphère aurait pu tomber entre de plus mauvaises mains. Je la retournerai à Arescience après visionnage. »

Cette histoire étrange se déroule dans une société qui pourrait être la nôtre dans un avenir relativement proche. Le changement climatique a fait son œuvre : épidémies, stérilité de la population, restriction des ressources, changement radical des conditions de vie, pauvreté, guerre etc. Tout nous est suggéré par petites touches. Mais le récit principal tourne autour de Véronica, jeune femme mal dans sa peau, qui réalisait des filmémoires à succès mais qui n’a plus du tout la motivation et l’inspiration pour en réaliser de nouveaux. Le cinéma tel qu’on le connaît actuellement n’existe plus. Il a fait faillite. Dorénavant, ce sont des filmémoires qui sont réalisés à partir de la mémoire des morts que l’on extrait grâce à une nouvelle technologie inventée par un certain Joachim Beckett. Véronica a eu un terrible accident il y a 6 ans qui l’a laissée comme une coquille vide, triste. Elle partage sa vie avec sa productrice, Rémi, qui croit en elle et son talent. Véronica reçoit un courrier anonyme avec une mémosphère non triée qui va bouleverser sa vie à jamais. Ce qu’elle y découvre remet en cause ses propres souvenirs, sa mémoire, sa personnalité. Sa mémoire aurait-elle été touchée, coupée, manipulée pour une raison qu’elle ignore. D’où parfois cette impression d’avoir des trous noirs dans ses souvenirs comme par exemple son enfance avant ses 8 ans dont elle ne se souvient pas ou encore ce qui s’est passé avant son accident. Véronica s’est longtemps caché la vérité en pensant que c’était cet accident justement qui lui avait causé ces troubles de mémoire. Il lui faut maintenant avoir le courage de mener l’enquête sur elle-même et regarder la vérité en face pour redevenir complète. « Les âmes fragmentées » est le récit intime d’une reconstruction, celle de Véronica et d’un questionnement fondamental : Peut-on impunément manipuler et changer sa mémoire ? Les conséquences sont indéniablement risquées et dangereuses. Un bon moment de lecture avec ce petit livre original, questionnant et un peu effrayant sur notre avenir possible. De plus, personnellement ce roman a résonné curieusement pour moi. L’héroïne s’appelle Véronica, surnommée Véro comme moi, et elle travaille avec des psycho-documentalistes, je suis documentaliste. Etrange sensation. C’est un premier roman, bravo à Charlotte Monsarrat. Autrice à suivre je pense.

« Je le reconnais immédiatement. Joachim Beckett, criminel notoire, inventeur de l’extraction mémorielle, trafiquant de souvenirs. Mort il y a quelques semaines dans sa cuisine, à laquelle il aurait lui-même mis le feu. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur cette découverte, ça enchaîne. // Beckett embrasse la nuque de sa compagne, qui relève alors le visage, auparavant caché par une mèche de cheveux bruns. // Je découvre que la femme brune nue qui sourit à Beckett dans le miroir, c’est moi.

Je pousse un cri et je ferme l’interface. Cœur qui s’emballe, souffle court. J’ai dû me tromper, parce qu’il est impossible que j’apparaisse dans les souvenirs de Beckett, a fortiori nue. Je ne l’ai jamais rencontré. »

Lien vers la fiche du livre sur Babélio

https://www.babelio.com/livres/Monsarrat-Les-ames-fragmentees/1465394

Note sur Babélio : 3,88/5 (4 notes) – Ma note : 4/5

« Ma mère est l’opposé de Rémi. Extravagante, vulgaire, bruyante et maquillée. Elle a des cils immenses et porte des décolletés plongeants. Nous n’avons pas grand-chose en commun. La première fois que les deux femmes de ma vie se sont rencontrées, je m’attendais à un désastre. Rémi juste polie face à ma mère et ses questions indiscrètes. Il s’est produit un étrange phénomène : c’est comme si elles s’étaient toujours connues. Elles se sont trouvé des points communs. Parmi tous leurs sujets de conversation, celui dont elles ne se lassent jamais, c’est moi. Mes défauts, mes faiblesses, mes blessures. J’aurais préféré qu’elles se détestent.

Ma mère s’appelle Ava. Quand on ne s’engueule pas, on rit. »

L’autrice : Charlotte Monsarrat

Charlotte Monsarrat est née en 1983. Petite, elle passe sa vie à se raconter des histoires. À 11 ans, elle écrit son premier roman dans un cahier 96 pages à grands carreaux. Mais son père lui dit toujours que, pour être écrivain, il faut au moins être Proust. Alors elle prend un « vrai métier » dans la production audiovisuelle. C’est dans le documentaire, le cinéma puis la série d’animation, que Charlotte produit les histoires des autres.

« Je me mets à trembler. Reprends-toi. C’est la première fois que j’entends ces mots de Beckett, mais au fond de moi je sais que ce n’est pas vraiment la première fois. L’intonation douce, qui contraste avec la carrure de l’homme, m’a vrillé l’estomac. Je mets un moment avant de formuler l’évidence : c’est moi, dans ses souvenirs. Je n’ai plus aucun doute, je ne saurais pas dire comment mais je le sais. J’ai peur. »

« J’ai intitulé mon mémoire « Cinémémoire de la rue ou la renaissance du cinéma social ». Ce titre bien pompeux m’a valu la reconnaissance de mes professeurs d’université. Puis j’en ai fait un film. L’histoire d’une sans domicile fixe qui utilise l’application mOther pour louer son bébé à des femmes riches en peine de maternité. Cette pratique s’est répandue en même temps que la stérilité qui a gagné l’ensemble de la planète comme une lente épidémie. Couples infertiles, procréation assistée, fausses couches, accouchements compliqués, bébés handicapés. Déformations physiques, dégénérescences génétiques. Au mieux enfants uniques. Être mère est devenu monétisable. »

« Je n’ai pas oublié que c’est aussi le soir de la distribution des paniers alimentaires. La gardienne scanne mon compte et j’échange quelques unités carbone contre les produits frais de la semaine. Ça fait deux jours que nous mangeons des féculents et des légumes secs, je vais pouvoir enfin préparer une salade. Je dépense un coupon supplémentaire pour une ration de volaille et une grande bouteille de bière. »

Un commentaire sur “Les âmes fragmentées de Charlotte Monsarrat

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