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Partage de mes lectures

Souviens-toi de Sarah de Page Comann

« Je suis ici, blottie entre ces phrases, au milieu de mes fragiles victoires et de mes nombreux chagrins. Ceux de la violence des hommes et de leurs désirs carnassiers. Ceux de mes mauvaises rencontres et de mon inconscience. J’ai osé me réchauffer à des feux qui n’étaient que les brasiers du diable, et j’ai brûlé vive. Toute mon histoire est là, dans ces pages à l’écriture trop appliquée, dans ce récit qui pourrait paraître mensonger. »

Résumé éditeur :

Diane, éditrice chez Sandwood Publishing à Londres, reçoit un manuscrit anonyme. Une jeune adolescente, Sarah, y confie sa vie de misère dans les années sombres de l’Angleterre des années 60. Elle y avoue aussi les crimes qu’elle a dû commettre pour échapper à son destin. Vraie confession ou habile fiction d’un écrivain contemporain ?

Bouleversée par ce manuscrit, Diane cherche à en retrouver l’auteur et part sur les lieux où Sarah dit avoir vécu et souffert. Dans sa quête de vérité, elle traverse les paysages époustouflants d’Irlande et d’Écosse.

Mais ce qui commence comme une enquête littéraire vire à l’horreur. En ouvrant le journal de Sarah, Diane a poussé la porte de l’enfer… c’était hier et rien n’est effacé. Aujourd’hui encore, des forces obscures manœuvrent dans l’ombre pour dissimuler leurs crimes.

Prix du Cercle du Sablier 2022

Prix Clair-Obscur Dora Suarez 2022

Prix Découverte Noir Charbon 2022

478 pages – 2/6/2022

« Son ombre longiligne dessine une tache de deuil sur le mur blanc du bungalow. Il reste dans l’encadrement de la porte. Silencieux. Spectre grisâtre et étrange. Haute figure émaciée dont l’œil aux aguets prend la mesure de ce que je suis et du désordre qui m’entoure. Beau front, traits fins, regard sombre et profond, un visage d’ange tourmenté cerné de cheveux noirs mi-longs. Une coiffure qu’on attribuerait plus volontiers à Lucifer qu’à un homme de Dieu. Énigmatique et avare de gestes, Père Patrick affiche la prestance d’un curé qui meurt d’envie de devenir évêque. »

Mon avis

J’aime beaucoup Ian Manook sous ses différents pseudonymes mais je ne connais pas du tout Gérard Coquet. J’avoue avoir eu la curiosité de découvrir ce que pouvait donner cette écriture à quatre mains, car vous l’aurez compris ces deux auteurs se sont réunis pour écrire « Souviens-toi de Sarah ». Je sens que cela va encore être compliqué d’écrire cette chronique. Et oui je suis encore une fois ambivalente après avoir terminé ce roman dur et assez terrible dans son récit. L’écriture est magnifique ! Est-ce dû aux quatre mains, aux deux cerveaux ou à l’amour passionné pour l’Irlande et l’Ecosse multiplié par deux des deux auteurs ? Je ne sais pas, mais le résultat est là. J’ai été très souvent scotchée par les descriptions de paysages, des conditions climatiques… Quel talent il faut pour rendre si poétique et sublime les nuages de pluie, la pluie incessante, le brouillard… le mauvais temps quoi ! Vraiment j’ai aimé ! Et toujours concernant l’écriture, comment réussir à faire sourire le lecteur alors que l’histoire est si effroyable, si cruelle ? Et bien, les auteurs y parviennent. Vraiment. Je me suis surprise à de nombreuses reprises à sourire en les lisant alors que la majorité du récit m’aurait plutôt fait pleurer ou mise en colère. Bravo pour cette performance. Venons-en à l’histoire. Comment dire ? C’est bien écrit et bien structuré et franchement, on est tenu en haleine jusqu’au bout et la fin vaut vraiment le coup ! Je ne m’y attendais vraiment pas et comme j’adore être surprise, merci messieurs. Mais je mettrais tout de même un bémol voire plus, sur les malheurs qui s’accumulent sur la pauvre Sarah. Au début j’ai compati bien sûr, mais au bout d’un moment, je me suis dit que les auteurs en rajoutaient un peu trop. Comme on dit « N’en jetez plus, la cour est pleine ! ». En même temps, je ne suis pas une spécialiste de la Grande-Bretagne des années 60, époque où se déroule l’histoire de Sarah. Je crains malheureusement que tous ces faits existaient. D’ailleurs, si on cherche par exemple l’orphelinat de Tuam sur internet, les faits horribles racontés dans le roman ont réellement existé. C’est encore plus effroyable. Mais en lisant ce roman, j’avais vraiment l’impression que les auteurs exagéraient dans les malheurs de Sarah. En deux mots, une éditrice londonienne reçoit un manuscrit qui a toutes les apparences d’un journal intime d’une jeune fille, Sarah, qui y raconte sa vie malheureuse parsemée d’humiliation, de violence et de maltraitance. Je ne veux pas rentrer dans les détails, ce serait trop long et il est préférable de lire le livre. Avant de le publier, Diane (l’éditrice) part sur les traces de Sarah en Irlande mais surtout en Ecosse pour vérifier les faits et tenter de retrouver les protagonistes du récit et pourquoi pas Sarah elle-même si elle est encore en vie. Le roman alterne les extraits du récit de Sarah (elle se confie à son journal qu’elle surnomme Mumiah) et l’enquête de Diane et son équipe. Les deux récits sont mouvementés et dangereux. A l’arrivée, lecture éprouvante par moment car les faits sont vraiment révoltants et terribles, mais lecture rehaussée aussi d’amour, d’amitié et de volonté. Des histoires de femmes. Souvent fortes et dures à la vie. En résumé récit effroyable mais une écriture sublime ! J’ai tellement aimé l’écriture de ces deux écrivains que je vais lire leur deuxième ouvrage à quatre mains. A vous de lire et de voir !

« Il n’a fallu que quelques pages de ce journal anonyme pour qu’une étrange alchimie se crée entre elle et cette Sarah sortie de nulle part. Cette insaisissable enfant. Cette pauvre âme. Cette gamine qu’elle imagine, dès les premiers mots, perdue et bien trop fragile pour survivre à ce que lui réserve l’Angleterre de ces années-là. Celle qui ajoute à la misère l’infortune des mal nés, dans ce royaume qui donne le change avec l’audace des minijupes de Mary Quant et les échos amplifiés de sa musique pop. »

Lien vers la fiche du livre sur Babélio

https://www.babelio.com/livres/Comann-Souviens-toi-de-Sarah/1401916

Note sur Babélio : 4,28/5 (162 notes) – Ma note : 3,5/5

« Mon âme fracassée a hurlé de détresse et, pour l’apaiser, j’ai semé au plus profond de mon être les graines d’une haine viscérale. Telles les racines diaboliques d’un roncier effroyable, elle s’est plantée en moi et m’a aidée à me redresser lorsque la faiblesse me courbait l’échine. »

L’auteur : Page Comann

Page Comann est le pseudo collectif de deux auteurs de polars chevronnés, réunis pour la première fois avec « Souviens-toi de Sarah » (2022).

Il s’agit de Ian Manook et Gérard Coquet. Amoureux de l’Irlande et de l’Écosse, ils défendent un style de roman « à l’anglaise ». Un humour acide et lucide, mariant le naturalisme flamboyant des paysages à la cruauté historique et sociale d’une Grande-Bretagne en trompe-l’œil.

Gérard Coquet

Gérard Coquet est né à Lyon en 1956. Après avoir été expert-comptable stagiaire dans un cabinet de la région lyonnaise, il a repris l’entreprise familiale de location de linge et la vendra au bout de 20 ans. Parallèlement, il exerce pendant onze ans les fonctions de juge auprès du tribunal de commerce de Lyon. Il termine son mandat par une garde à vue, une mise en examen et un non-lieu en correctionnelle. Pendant toute cette période, il participe à la vie d’un groupe musical style folk, musique californienne, ballades irlandaises, country.

En 2011 est publié « Malfront, les fantômes de la combe » aux éditions Inoctavo. Ce roman a remporté le prix « Plume de Glace » 2012 de Serre Chevalier

Ian Manook

Patrick Manoukian, né le 13 août 1949 à Meudon, est un journaliste, éditeur et écrivain français sous les pseudonymes de Ian Manook, Paul Eyghar, et Roy Braverman.

Né dans une famille d’origine arménienne, Patrick Manoukian parcourt à l’âge de 18 ans les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Il effectue des études de droit et de sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut français de presse.

Il repart ensuite en voyage en Islande, au Belize, et au Brésil.

De retour en France, il collabore en tant que journaliste à des rubriques touristiques du Figaro, de Télé Magazine, de Top Télé, de Vacances Magazine et de Partir.

En 1987, il crée une société : Manook, une agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage.

De 2003 à 2011, il réalise le scénario de plusieurs bandes dessinées sous le pseudonyme de Manook.

En 2013, il signe du pseudonyme de Ian Manook un roman policier intitulé Yeruldelgger (que j’ai adoré !) qui remporte plusieurs prix dont le Prix SNCF du polar 2014.

Il fait aussi partie du collectif d’artistes la Ligue de l’Imaginaire.

« Et comme ni elle ni personne ne peut rien pour éviter à Sarah ce qui doit lui arriver, elle se décide à l’affronter et reprend sa lecture. Bien plus tard, au cœur de la nuit, les yeux rougis, des mouchoirs en papier trempés dans ses poings serrés, Diane tourne le dernier feuillet. Elle repose le manuscrit sur le parquet, éteint la lampe callipyge, vide son verre de vin blanc, s’enfonce dans le sofa et tire le plaid sur elle. Puis elle ressort les bras et prend son téléphone pour envoyer un message à Ashley.

– Tu avais raison, c’est un texte terrible, magnifique s’il raconte une vérité. Je pars demain pour Stockton-on-the-Bridge. Je veux savoir qui est à l’origine de tout ça. »

« C’est un ciel d’Écosse. Un ciel d’ardoise, boursouflé de nuages crémeux qui défilent et s’effilochent à la pointe des arbres sombres. Le soleil, en embuscade, glisse de temps en temps des rayons audacieux qui allument d’éphémères incendies soufflés aussitôt par un vent glacé de bruine. Le paysage change à chaque percée, désespéré de noirs abandons ou chaleureux d’un fugace espoir. »

« Puis elle revient au texte. Sarah a mentionné le nom d’un premier établissement dans lequel père Patrick avait prévu de la faire accoucher. Elle cherche et trouve. Tuam. Elle compose le nom, lance la recherche, et les réponses tombent sous ses yeux effarés avec la froideur d’un flot d’horreurs. Suspicion d’une fosse commune abritant les restes de 796 enfants et bébés enterrés dans les fondations de l’orphelinat catholique du Bon Secours. Son cœur boit tout son sang d’un seul coup. Elle en pâlit si fort que Killian s’en aperçoit et s’en inquiète. Comme elle ne lui répond pas, il s’approche pour lire par-dessus son épaule.

– Tu ne savais pas ? Elle secoue la tête en silence, les yeux rivés sur les longues descriptions froides et factuelles de cette abomination.

– Les sœurs accouchaient de pauvres filles rejetées par leurs parents ou leur amant et les faisaient trimer comme des esclaves dans une blanchisserie. Autant pour expier ce qu’elles appelaient leur faute, que pour remplir les caisses de la congrégation. On les suspecte d’avoir laissé mourir celles et ceux qu’elles estimaient être des bâtards. Par manque de soins. Dans la crasse et le froid. Entre 1925 et 1961. C’est exactement ce que décrit Sarah. »

« – Boris, le taureau. Il a la même tignasse que ce clown de Johnson, vous ne trouvez pas ? Coiffés comme un gâteau sous la pluie, tous les deux. »

« Sous un porche, en haut d’un court perron, une nonne attend. À l’endroit où elle se tient, son parapluie ouvert ne lui sert à rien. Voile et coule noirs, scapulaire de dévotion autour du cou, la moniale, aussi haute que large, est une statue taillée dans un bloc de méchanceté. Père Patrick se gare au milieu de la désolation et coupe le contact. Je reste pétrifiée. « Descends, m’ordonne-t-il. » Je descends. Un chien marron et blanc vient à ma rencontre, la truffe reniflant la boue, comme si le diable lui avait botté le derrière. L’animal efflanqué passe devant moi sans me voir. Je ne dois déjà plus exister. »

« Quand on a mal, ça ne sert à rien d’étaler son désespoir, sinon à souffrir encore plus. Maman prétendait qu’aligner des phrases sur un morceau de papier permettait de guérir de ses tourments. Elle se trompait. Ou alors, je n’utilise pas les bons mots. »

« La Cathédrale est là. Sombre et imposante. Ses toits verts dominent les bâtiments alentour. Sa flèche noire, dardée au ciel, se plante dans un édredon de nuages. La volonté religieuse, qui consiste à broyer ses fidèles, m’a toujours subjuguée. Définir la petitesse humaine par la grandeur des constructions divines, n’est-ce pas accepter que Dieu nous écrase de son mépris ? Nous contraindre à lever les yeux puis nous forcer à les baisser, n’est-ce pas la forme ultime de notre soumission ? Je ne sais pas si tu es d’accord, Mumiah, mais je pense que croire est un combat perdu d’avance. La foi ne suffit plus à satisfaire Dieu. J’ai l’impression qu’il s’est lassé de nous. Des protestants, des catholiques, des anglicans et de tous les autres. Tous dans le même état d’abandon. Agenouillés devant des statues de saints qui n’ont peut-être jamais existé, à ânonner des suppliques qui ne seront jamais exaucées. Le grand mensonge, en quelque sorte. »

« Je ne savais pas qu’il pouvait exister un pays dont les plus belles journées étaient lavées de pluie et épongées de brouillard. Dans ce trou de granit et de tourbe, des bataillons de nuages en armures de mauvais temps descendent les pentes rocailleuses de White Hill et se regroupent ici, dans le val de Stockton. Pour laisser à la terre le temps de boire le déluge, de rares éclaircies entrecoupent les orages qui se succèdent. »

« Ne t’offusque pas Mumiah, mais je caresse le rêve qu’il existe des fins heureuses, même aux mauvaises vies. Si un jour j’écris autre chose qu’un journal intime, j’inventerai une héroïne trainée dans la boue des hommes et qui se vengerait d’eux en les exterminant les uns après les autres. Jusqu’au dernier. Des représailles froides, inexorables, calculées. Pour avoir enfin droit de me rassasier de sérénité. »

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